Avancées techniques et difficultés rencontrées pour l’évaluation quantitative du SAGE Sèvre Niortaise Marais Poitevin

Caroline SANDNER – IIBSN Institution Interdépartementale du Bassin de la Sèvre Niortaise

Tour d’horizon des avancées techniques et des difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre d’une étude « Hydrologie, Milieux, Usages, Climat » (HMUC), prescrites par le SDAGE Loire Bretagne, dans le cadre de la révision du chapitre « gestion quantitative » du SAGE Sèvre Niortaise Marais Poitevin, dont l’animation est assurée par l’Institution Interdépartementale du Bassin de la Sèvre Niortaise.

 

La sécheresse de 2019 a remis en lumière à l’échelle nationale les dispositifs de gestion quantitative de la ressource en eau, avec la publication d’un rapport du CGEDD(1) sur la gestion de ces crises d’une part ; de propositions parlementaires(2) pour mieux gérer les conflits d’usage liés aux épisodes de stress hydrique d’autre part. Ces rapports soulignent tous deux la nécessité de déployer un « processus de décision appuyé scientifiquement ».

La mission d’information parlementaire considère en particulier que le développement des analyses « Hydrologie, Milieux, Usages, Climat » (HMUC) « peut être utile, dans le cadre des SAGE(3) mais aussi des PTGE(4), car elles impliquent une remise à plat des besoins des milieux et des usages, tout en intégrant dans l’analyse l’impact des changements climatiques sur la ressource en eau. » Les analyses HMUC s’organisent en effet théoriquement autour des quatre volets suivants(5) :

  • Hydrologie : reconstitution et analyse des régimes hydrologiques « naturels » ;
  • Milieux : analyse des besoins des milieux, du « bon état » à la situation de crise ;
  • Usages : connaissance et analyse des prélèvements actuels, détermination des besoins futurs et des économies d’eau possibles ;
  • Climat : intégration des impacts du changement climatique sur chacun des points précédemment abordés.

Du point de vue conceptuel, cette approche est séduisante, mais sa mise en œuvre est loin d’être facile, aussi bien en ce qui concerne les aspects techniques que de gouvernance.

 

Brève description du contexte de l’étude

Le bassin versant du SAGE Sèvre Niortaise Marais Poitevin (cf. carte ci-après) s’étend sur 3700 km², des sources de la Sèvre trente kilomètres à l’Est de Niort jusqu’à la baie de l’Aiguillon. A cheval entre deux régions (Nouvelle Aquitaine et Pays de la Loire) et quatre départements (Deux-Sèvres, Charente-Maritime, Vendée et Vienne), il est rattaché au bassin Loire Bretagne. Sa limite Est est hydrogéologique, les pertes de la Dive venant alimenter la Sèvre en aval de ses sources.

On y rencontre grossièrement trois contextes physiques :

  • Au Nord, des bassins versants sur socle, pourvus de nombreux plans d’eau et, pour l’un d’eux, d’une retenue de barrage à usage eau potable, soutien d’étiage et irrigation (barrage de la Touche Poupard, sur le Chambon) ;
  • Au centre, sur « Bri » (sédiments quaternaires peu perméables), le Marais poitevin ;
  • Entourant ce dernier, des vallées sèches ou cours d’eau intermittents sur substratum marno-calcaire, marqués par un déséquilibre chronique entre les besoins en eau (en particulier irrigation) et les ressources disponibles à l’étiage.

Le SAGE Sèvre Niortaise Marais Poitevin, approuvé en 2011, contient de ce fait un volumineux chapitre(6) consacré à la gestion quantitative. Une de ses dispositions préconise la construction de réserves de substitution(7) (photo suivante).

 Réserve de Nieul sur l’Autise

Réserve de Nieul sur l’Autise

Les arrêtés autorisant la construction de ces ouvrages sont systématiquement contestés devant les tribunaux. L’AUP(8) détenue par l’OUGC(9) a été annulée(10) récemment par le Tribunal Administratif de Poitiers, en raison notamment de l’absence de « volumes prélevables(11) » dans le SAGE.

Dans ce contexte, la révision du chapitre « gestion quantitative » du SAGE s’imposait, selon la méthodologie HMUC préconisée par le SDAGE.

 

Organisation de l’étude

Compte tenu du contexte décrit plus haut, le projet s’est révélé difficile à mener dès les prémisses de sa conception.

La première difficulté a été de convaincre les parties prenantes du bien-fondé de l’étude, pressentie comme une « nouvelle usine à gaz » au coût effarant, sachant que les projets de substitution issus de la première version du SAGE ne sont pas encore réalisés partout où ils étaient prévus, et sont pour certains en grande difficulté administrative. Les motifs d’annulation de l’AUP ont eu raison de ces réticences, mais il a fallu plafonner et étaler la dépense (400.000€TTC, subventionnés à 70% par l’Agence de l’Eau Loire Bretagne) sur trois ans.

La rédaction d’un premier cahier des charges traitant l’étude dans sa globalité a été douloureuse : compte tenu des enjeux, elle s’est faite sous étroite surveillance, avec un niveau d’exigence très élevé. Les réflexions techniques ont mis en évidence des lacunes méthodologiques au niveau national et international, notamment pour évaluer les besoins des milieux lorsque les cours d’eau sont morphologiquement dégradés et/ou intermittents, ou lorsque les objectifs d’étiage concernent des niveaux piézométriques plutôt que des débits. Une bonne partie du domaine sédimentaire du SAGE se trouve dans ce cas.

La complexité de ce premier cahier des charges, le besoin affiché de développements méthodologiques relevant plus de la recherche que des compétences d’une collectivité territoriale, et la réputation sulfureuse du territoire ont mené à un appel d’offres infructueux, faute de candidats. Après une nouvelle phase de concertation, l’organisation suivante a été retenue :

  • Le volet « Hydrologie » et le calcul de l’impact du changement climatique sur celui-ci ont été confiés au BRGM dans le cadre d’une convention de recherche et développement partagés. La reconstitution des « régimes hydrologiques naturels » passés et futurs (par descente d’échelle des scénarios du GIEC(12)) est réalisée à l’aide du modèle hydrologique global à réservoirs GARDENIA(13), qui permet de modéliser à la fois des chroniques de débits et de niveaux piézométriques, en tenant compte des prélèvements (cf. paragraphe 3).
  • L’équipe d’animation des SAGE réalise en parallèle le fastidieux bilan des « Usages » par compilation des différentes sources de données. Il a été admis que l’évaluation de l’impact du changement climatique sur les usages est trop incertaine pour être tentée dans le cadre de l’étude.
  • Concernant le volet « Milieux », un travail cartographique de synthèse sur l’état morphologique et les assecs des cours d’eau a été commandé à l’entreprise Geotello, afin de faciliter le travail du prestataire qui sera chargé de déterminer les besoins des milieux. La consultation pour cette étude est en cours. Deux méthodes sont visées dans le cahier des charges : une méthode de type « micro-habitats » (ESTIMHAB) sur les cours d’eau entrant dans son champ d’application(14), et une méthode de type « hydraulique » là où les conditions ne sont pas réunies. Le cas des cours d’eau intermittents reste en suspens (cf. paragraphe 4). L’évaluation de l’impact du changement climatique sur les besoins des milieux a également été jugé irréalisable à ce stade.
  • Il restera enfin à commander le délicat calcul des « volumes prélevables ». L’étude devrait consister en une synthèse des éléments présentés ci-avant, en prévoyant différents scénarios d’objectifs d’étiage bornés par les résultats des volets « Hydrologie » et « Milieux ».

Côté gouvernance, la situation n’est pas plus facile à gérer : la transmission aux décideurs des éléments techniques - et plus encore prospectifs - est un exercice difficile. Ont été mis en place des « comités techniques » à la composition adaptée à chaque volet d’étude, un « comité de pilotage » correspondant au Bureau de la CLE(15) légèrement élargi, et un « comité de suivi » ouvert à toutes les personnes intéressées au sujet sans restriction. Pour les étapes donnant lieu à une décision de la CLE, il est prévu de réunir dans l’ordre : « comité technique » > « comité de pilotage» > « comité de suivi» > « CLE».

 

Régimes hydrologiques « naturels » passés et futurs : premiers résultats

La simulation des chroniques de débits disponibles en zone de socle donne des résultats satisfaisants dans la gamme de fiabilité des stations hydrométriques. Cependant, les débits d’étiage se situent systématiquement en-dessous de cette plage de valeurs, avec une tendance à la surestimation. Par ailleurs, le calcul de l’impact quantitatif des prélèvements diffus des plans d’eau sans usage économique (notamment de leur évaporation) donne lieu à beaucoup de discussions. Ces deux difficultés constituent autant d’obstacles lors de l’analyse des besoins des milieux. Enfin, en ce qui concerne le changement climatique, les débits de hautes eaux semblent peu affectés, contrairement aux débits d’étiage (figure suivante).

 01D avancees tecnhiques

 

Figure – Simulation de l’évolution du débit du Chambon entre 1990 et 2100

En domaine sédimentaire, la modélisation simultanée d’une chronique de débits et d’une chronique piézométrique observées sur le même bassin versant donne des résultats satisfaisants, à condition d’avoir une bonne compréhension du système étudié, et une connaissance fine de la répartition temporelle des prélèvements. L’impact des prélèvements est plus évident qu’en zone de socle. Les résultats de calcul tenant compte du changement climatique ne sont quant à eux pas encore disponibles.

 

Evaluation des besoins des milieux : cas des cours d’eau intermittents

Sur les cours d’eau tel que le Mignon (affluent rive gauche de la Sèvre), les conditions d’application des méthodes visées au cahier des charges de l’étude de détermination des débits écologiques ne sont pas remplies : la morphologie est très dégradée, les ouvrages nombreux, et certains secteurs sont en assec tous les ans plusieurs mois d’affilée (photo suivante).

Le Mignon au Pont d’Angle à Thorigny-sur-le-Mignon

Photo -  Le Mignon au Pont d’Angle à Thorigny-sur-le-Mignon

Il existe cependant habituellement dans ce contexte une relation directe entre le niveau piézométrique (souvent fortement influencé à l’étiage par les prélèvements), et l’état d’écoulement du cours d’eau.

Grâce au réseau ONDE(16) et à plus de dix ans de parcours systématique des linéaires de cours d’eau à l’étiage par les Fédérations de pêche(17), cette relation peut être établie, et les caractéristiques des assecs dans l’état actuel et « naturel » reconstitué par les modèles décrits au paragraphe 3 calculées.

Une solution alternative aux calculs de « débits écologiques » et de « volumes prélevables » pourrait alors être de travailler sur la répartition spatiale et temporelle des prélèvements afin de réduire l’écart entre les assecs observés aujourd’hui et les assecs « naturels » reconstitués.

Cette solution aurait été dans la continuité des objectifs actuellement inscrits dans le SAGE, et présentait des garanties de résultat (sous réserve que les propositions formulées en conclusion des études soient retenues puis mises en œuvre honnêtement). Il n’a pourtant pas été possible de la mettre à l’étude, faute de pouvoir déroger aux concepts et méthodes décrits plus hauts, séduisants sur le papier, mais pas toujours adaptés - ou pas assez adaptables - à la variété des situations rencontrées localement.


(1) Retour d’expérience sur la gestion de la sécheresse 2019 dans le domaine de l'eau - DUMOULIN, Virginie et HUBERT, Louis - Conseil Général De l'Environnement et du Développement Durable (CGEDD) – décembre 2019. https://cgedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/notice?id=Affaires-0011654

(2) Rapport d’information sur La gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau présenté le 4 juin 2020 à l’Assemblée Nationale par les députés Loïc Prud’homme et Frédérique Tuffnell. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-dvp/l15b3061_rapport-information#_Toc256000112

(3) SAGE : Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux. https://www.gesteau.fr/presentation/sage

(4) PTGE : Projets de Territoire pour la Gestion de l'Eau https://www.gesteau.fr/actualite/instruction-sur-les-projets-de-territoire-pour-la-gestion-de-leau-ptge-articulation-avec

(5) http://www.centre-val-de-loire.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/sdage_fiche6.1gestion_quantitative.pdf

(6) https://www.sevre-niortaise.fr/documentation/download-category/1-documents-approuves-sagesnmp-2011/">https://www.sevre-niortaise.fr/documentation/download-category/1-documents-approuves-sagesnmp-2011/

(7) http://sigespoc.brgm.fr/spip.php?article57">http://sigespoc.brgm.fr/spip.php?article57

(8) AUP = Autorisation Unique Pluriannuelle de prélèvement en eau d'irrigation

(9) OUGC = Organisme Unique de Gestion Collective. Pour les bassins versants qui entourent le Marais Poitevin, cette fonction est assurée par l’Etablissement Public du Marais Poitevin (EPMP). http://www.epmp-marais-poitevin.fr/ougc/

(10) http://poitiers.tribunal-administratif.fr/content/download/161910/1638930/version/1/file/TA86%20-%201701657.pdf

(11) http://www.charente-maritime.gouv.fr/Politiques-publiques/Environnement-risques-naturels-et-technologiques/Eau-et-milieux-aquatiques/Gestion-quantitative-de-la-ressource/Cadre-general/Les-volumes-prelevables

(12) GIEC = Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat

(13) https://www.brgm.fr/production-scientifique/logiciels-scientifiques/gardenia-logiciel-modelisation-hydrologique

(14) https://patbiodiv.afbiodiversite.fr/fiche-methodologique/travaux-rivieres/champs-dapplication-methode-estimhab-81

(15) CLE = Commission Locale de l’Eau

(16) https://onde.eaufrance.fr/

(17)http://www.eau-poitou-charentes.org/Suivi-assecs-Federations-de-Peche.html

 

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