Gestion des eaux souterraines, service d'eau potable et partage des coûts : la quadrature du cercle

Bruno de GRISSAC - SMEGREG et Charlotte ALCAZAR -SYMCRAU

Sur certains territoires, les collectivités territoriales se sont organisées de longue date pour intervenir dans la gestion des ressources en eau. En pratique, les missions assumées en France par ces collectivités gestionnaires de la ressource en eau sont difficilement rattachables à des compétences légalement définies et codifiées dans des textes législatifs ou règlementaires.

Le SMEGREG pour la gestion des nappes profondes de Gironde et le SYMCRAU pour la gestion de la nappe de la Crau dans les Bouches-du-Rhône sont des d'exemples qui illustrent en quoi cette situation législative et réglementaire ne permet pas à ce type d'acteur de se saisir de l'outil "redevance pour service rendu" et donc de concrétiser des arrangements locaux efficaces en matière de gestion des ressources en eau et équitables en termes de partages des coûts.

En Gironde, la surexploitation par et pour l'eau potable, de certaines nappes captives impose que les prélèvements dans ces nappes soient diminués. Théoriquement envisageable, un effort de réduction identique pour tous les services qui prélèvement dans la nappe est dans la pratique :

  • impossible pour certains, faute d'une ressource alternative mobilisable ;
  • non pertinente pour d'autres si l'on compare les rapports coûts efficacité rapporté au m3 des solutions envisageables.

La solution la plus pertinente, tant du point de vue environnemental, que sanitaire ou économique, consiste donc à consacrer les efforts de substitution de ressources sur quelques services, bien au-delà de la responsabilité de ces services dans la surexploitation, et à ne pas modifier les sources d'approvisionnement pour les autres services. Se pose alors la question du partage équitable des coûts de réparation du milieu ente tous ces services.

 

La Crau, dans les Bouches du Rhône, est une vaste plaine dépourvue de tout réseau hydrographique. Aride et peu fertile la Crau bénéficie depuis le 16e siècle d'un transfert d’eau depuis la Durance par des canaux à vocation agricole. L’irrigation par submersion des prairies (production fourragère labélisée AOP) a pour effet induit la recharge artificielle de la nappe phréatique de la Crau à hauteur de 70% de son alimentation annuelle. Ce bénéfice indirect a permis l'implantation humaine dans ce désert. Aujourd’hui, l'alimentation en eau potable de près de 300 000 habitants dépend de cette nappe et donc de cette pratique d'irrigation en perte de vitesse du fait du grignotage urbain et de la rentabilité économique limitée de la filière, obérant la capacité des gestionnaires agricoles à entretenir les canaux. Se pose ici la question du partage de ces coûts avec les bénéficiaires de cette pratique d'irrigation parmi lesquels les usagers du service d'eau potable.

 

Le SMEGREG en Gironde et le SYMCRAU dans les Bouches du Rhône ont de longue date identifié les dispositions législatives et réglementaires qui permettraient d'assoir un partage équitable des coûts des actions décrites ci-avant et nécessaires à la bonne gestion de leurs ressources en eau souterraine respectives. Il est ainsi possible, en application des articles L211-7 du code de l'environnement et L151-36 à L151-40 du code rural et de la pêche maritime, de demander l'instauration d'une redevance pour service rendue visant à faire contribuer au frais de réparation ou de gestion du milieu supportés par un acteur ceux qui ont rendu son action nécessaire ou ceux qui y trouvent un intérêt.

On peut ainsi imaginer :

  • en Gironde, qu'un service d'eau qui ferait un effort de substitution de ressources bien au-delà de sa responsabilité dans la surexploitation ne voit la facture d'eau de ses abonnés n'augmenter que dans d'équitables proportions en reportant une patrie des charges via une redevance pour service rendu sur les services qui n'auront pas à modifier leurs sources d'approvisionnement,
  • dans la Crau, que les services d’eau potable contribuent au renouvellement des canaux d’irrigation agricole via une redevance pour service rendu afin de pérenniser ce transfert d’eau multi-usage sans lequel les abonnés devraient supporter des coûts bien plus élevés pour de nouvelles infrastructures de transfert d’eau.

Si on peut imaginer, on ne peut malheureusement pas faire. En effet les dispositions de l'article L211-7 du code de l'environnement ne sont accessibles qu'aux collectivités qui disposent de la ou des compétences figurant parmi les 12 missions de cet article et dont relève l'action générant les coûts que l'on veut partager. Or parmi ces 12 missions, seuls les quatre qui constituent la compétence GEMAPI ont été attribués aux collectivités. Quant au SYMCRAU et au SMEGREG, ils sont constitués de collectivités qui ont perdu leur "compétence générale" et dont les compétences que leur confère la loi ne recouvrent pas ces items de l'article L211-7, même pour ce qui concerne les services d'eau potable.

Faute d'évolution législative, combiner gestion de la ressource, partage équitable des coûts et service public de l'eau potable relève de la quadrature du cercle.

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